« Toute vie est bien entendu un processus de démolition mais les atteintes qui font le travail à coups d’éclats (…) n’ont pas d’effets qui se voient tout de suite. Il existe des coups d’une autre espèce, qui viennent du dedans - qu’on ne sent que lorsqu’il est trop tard pour y faire quoi que ce soit ». La Félure » de Francis Scott Fitzgerald.
Le chemin de vie de chacun semble être effectivement un champ de bataille au-dessus de nos forces où les soucis en tous genres, perte d’un être cher, chagrins d’amour, pénibilité professionnelle, conflits familiaux, relationnels, maladies, handicaps, aidances, embarras pécuniaires, ambitions non réalisées, addictions, etc. sont autant de facteurs pouvant aisément façonner notre désillusion de la vie et des autres.
Nous subissons la dure loi de l’entropie, qui se joue sur les différents plans de la nature humaine (corps, émotionnel, intellectuel).
Cette fissure qui semble se creuser souterrainement en nous au fil du temps et parfois depuis l’enfance, semble inéluctable à la traversée de l’existence.
Elle n’est bien sûr pas la même pour tous. Nous ne vieillissons pas tous à la même allure et les ravages extérieurs comme intérieurs ne se manifestent pas de la même façon.
Certes, avec le vieillissement, l’organisme vital se dégrade, telle une vieille voiture que l’on répare tant bien que mal. Les articulations s’usent d’avoir trop servi, mais les ravages émotionnels, les coups durs, le stress, sont aussi responsables de cancer ou de dégénérescence neurologique.
Quand parfois, le cœur a souvent trop donné, mal donné ou peu donné, et surtout peu reçu, son usure se voit dans les fermetures, le repli, l’état de prostration ou bien dans l’état de violence et de combat. Bien qu’avec le vieillissement, le combat frontal avec l’extérieur ne soit plus possible par simple faiblesse physique et mentale.
Avec la perte de ses capacités, chacun mène de façon différente son combat intérieur. Tout le monde n’a pas le même rapport à son corps et à ses émotions, n’a pas une volonté inébranlable ni les clés pour gérer le sens de son existence.
Pour une majorité d’humains, arrive alors le moment où la personne lâche, abandonne cette lutte de l’existence, sans pour autant mourir physiquement.
Les ephads sont pleins de fantômes ou de vivants aux yeux vides.
Peu sont ceux qui prêchent une mort fracassante pour échapper à cet inéluctable. C’est là, d’ailleurs en apparence une certaine liberté et un certain pouvoir que nous pourrions avoir sur la mort.
Le corps serait-il un obstacle pour atteindre la vérité ?
En yoga, nous affirmons que le corps est, parmi d’autres outils, une clé à la transcendance.
Surtout, nous ne considérons pas que tout est destruction et absurdité dans l’existence au point d’en avoir une vision uniquement sombre et pessimiste, voire romantique.
Alors si nous revenons à cette phrase de Fitzgerald ; « Il existe des coups ..., qui viennent du dedans - qu’on ne sent que lorsqu’il est trop tard pour y faire quoi que ce soit », comment faire pour limiter les dégâts ?
Devons-nous uniquement subir les fruits délétères d’évènements passés ?
Le constat des dégâts bien qu’incontournable, n’enlève en rien à la volonté humaine et la puissance de l’esprit sur la matière, la possibilité d’agir, de transformer, d’adapter, d’optimiser, de réutiliser, de revoir à tout âge.

Si nous n’échappons pas à la loi de la cause et de l’effet, nous savons en yoga et en méditation, par la visualisation et l’approche quantique, et ce, sans prétention, revoir le film, remonter le temps, essayer d’aller changer des choses du passé pour refaçonner le présent futur. Ces techniques de méditation ne relèvent pas d’une spiritualité « magie-fantastico » accessible à tous. Elles relèvent d’une conception de l’existence où nous pouvons humblement agir dans le champ des potentialités de la manifestation, ne serait-ce que pour changer de ligne de vie et optimiser celle à venir.
Cela ne relève pas du spectaculaire d’un comics de Marvel, cela relève de processus observables extrêmement subtils et discrets chez le pratiquant, dont les effets ne sont pas un rajeunissement ou une guérison miracle, mais un maintien plus endurant et vivace face à l’adversité ainsi qu’un passage du temps peut-être différent.
Rassurez-vous, nous allons tous mourir.
Pour faire avec la sénescence inéluctable, la créativité et l’aspiration à transcender son état sont des ingrédients majeurs bénéfiques.
Les voies artistiques ou spirituelles le permettent.
De grands artistes âgés au faîte de leur art en furent la preuve. Pour ne citer que des contemporains ( Rabindranath Tagore écrit à 79 ans, sa 2e autobiographie, un an avant sa mort. Pablo Picasso produit encore des gravures en 1972 alors âgé de 91 ans, un an avant sa mort. Alexandra David Neel refait son passeport à 101 ans. Jean d’Ormesson à 92 ans reste actif et témoigne sur les réseaux sociaux, etc.), tout comme le furent dans leur domaine, des grands maitres spirituels, qui même atteints de pathologies, continuaient à enseigner (Maharishi Mahesh, 91 ans, Siddhārtha Gautama environ 80 ans, Mirra Alfassa, dite la mère à Auroville, 95 ans, etc.).

« Ainsi donc, la vie n’est pas uniquement que destruction et folie » nous dit P. Bruckner.
Nous pouvons avoir deux visions de la vie et de l’âge, soit celle d’une échelle qui descend soit celle qui monte.
En avançant en âge, on s’aperçoit que l’échelle ne repose pas forcément contre un mur et que la chute est possible à chaque instant, même si nous montons. De toute façon, nous marchons barreau après barreau.
Alors, qu’est-ce qui fait la différence entre ceux qui montent même péniblement et ceux qui descendent en se laissant glisser par abandon cognitif et physique ?
Ceux qui montent ont un but ! Un idéal, une mission à finir, un sens à atteindre, un trésor à découvrir, ne serait-ce que Dieu.
Nous pouvons nous laisser glisser aussi mais à condition que ce soit un lâcher-prise conscient et pleinement actif intérieurement, ce qui n’est pas le cas en déperdition due à la dégénérescence et donc à l’oubli du but.
Souvenez-vous de cette charade.
« Que fait le sage, une fois arrivé en haut de la montagne ?
...
Il continue de grimper ».

Et que l’ascension ne s’arrête jamais !
En effet, vivre sa vie de façon spirituelle, c’est savoir passer du fini à l’infini, du grossier au subtil. C’est savoir reconnaître et recevoir le murmure ineffable de l’univers à notre encontre, tout éphémères que nous soyons.
L’absence de sens de notre aventure humaine est en soit, une plaie anesthésiante pour celui qui se pose cette question sans en chercher la réponse.
« Le plus court chemin de nous à nous-même est l’univers » écrivait Malcom de Chazal, poète mauricien).
Si tout au long de son existence, de l’enfance à l’âge adulte, nous ne cessons de nous chercher une personnalité, d’apprendre à prendre nos responsabilités, à commencer par notre solitude existentielle, il arrive un moment, où la maturité doit entrer en scène.
Se demander encore à la soixantaine « Qui suis-je ? » traduit une immaturité.
Mais se poser la question « Que puis-je faire à présent de mon expérience et du temps restant supposé ? » semble plus judicieux.
Nous sommes le fruit de nos expériences passées, de notre savoir, mais aussi de la diversité de nos échanges avec autrui durant toute notre existence. Alors, nous, pratiquants, prenons conscience de la richesse de nos rencontres multiples mais aussi de nos partages avec nos amis spirituels. Ayons cette gratitude infinie avec nos pairs spirituels, ceux qui nous ont permis de ne plus nous chercher encore à un âge mûr, mais d’être, simplement, de façon authentique, sans chercher à être autre chose que ce que nous sommes.
Alors, en étant devenus suffisamment libre intérieurement pour agir, nous pouvons nous poser la vraie question :
« Que puis-je faire à présent ? »
Avancer sur le chemin de vie, c’est apprendre à un moment à se convertir à soi-même loin du tumulte du monde et des conditionnements multiples d’autrui et de la société.
Se réconcilier avec soi-même est la nécessité première pour trouver sa voie et prendre pleinement possession de son destin sans subir ni être dirigé de l’extérieur.
Certains d’entre-nous savent le faire très tôt dans l’existence.
Beaucoup de personnes pensent se convertir à elles-mêmes en se soumettant par exemple à la loi divine, à la religion, à une morale, à un ordre social, voire à une culture, une communauté.
Ëtre exempt de toute influence karmique, familiale, ethnique, de toute discrimination est impossible mais pour se donner à soi-même sa propre loi, il semble important de savoir alléger tous ces liens.
Ainsi avancer en âge, lorsque le travail de l’éveil a été engagé, peut nous permettre d’une part, de rester établis sur cette voie du Soi, de la connaissance et continuer l’ascension patiente et éclairée à la recherche du sens de l’existence, mais aussi et surtout, de rester ouverts à tout évènement nouveau ;
rester ouverts au monde, curieux de lui et de ce qu’il propose, savoir apprécier autant le murmure du soleil couchant, que partir pour un voyage en terre inconnue, savoir regarder même dans les aléas, l’inépuisable richesse du monde et l’opportunité de comprendre le sens de l’existence. Le comprendre par la voie intérieure des pratiques yoguiques ou autres spirituelles, mais aussi savoir porter sur les paradoxes du monde extérieur, autant sur ce qu’il a de beau que de difficile, le regard de l’observateur bienveillant et sensible.
La révélation n’est pas forcément une affaire d’intériorité, elle peut se faire en observant une scène inattendue extérieure.

Tout est affaire de regard conscient sur la vie.
C’est pour cela, que tout autant, vous développez le regard profond intérieur, tout autant par les pratiques yoquiques, vous devez savoir contempler le monde extérieur et y inclure ses paradoxes.
La porte vers l’inexploré est la voie de la transcendance.
Elle se fait bien sûr par les pratiques qui expérimentent l’inconnu autant dans les limites physiques d’endurance et de négociation, que dans les subtilités du souffle indomptable, es acrobatiles mentales et psychiques ou les raisonnements métaphysiques pointus afin de réaliser l’union de l’individuel avec l’absolu.
Mais la transcendance peut se faire aussi à chaque instant de votre vie par des portes à franchir vers l’inexploré du monde extérieur.
Le futur étant aléatoire, tout peut arriver. Le fantastique de la transcendance, à savoir une compréhension majeure qui peut changer le cours de votre existence pour vous amener à un niveau supérieur de conscience et de réalisation personnelle est potentiellement là, à portée de votre main...et de votre regard conscient.
La porte du sacré est déjà là...à vous de la trouver.
Hari Om tat Sat
Jaya Yogacarya
Bibliographie :
– « Une brève éternité » de Pascal Bruckner aux Edts Grasset
– Adaptation et commentaire de Jaya yogacarya
©Centre Jaya de Yoga Vedanta Ile de la Réunion & métropole
Remerciements à C. Pellorce pour ses corrections