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« La vigilance du tigre »

« La vigilance du tigre »

thème : La mort : partie 4
Conférence donnée par Jaya Yogācārya en cours de méditation du vendredi 23 mars 2018

Nous avons, lors des dernières conférences, abordé le thème de la mort.
Dans « Le point de tangence » voir conf, nous y avons vu les distances de sentiments différentes que nous établissons envers la mort selon le « Je », le « Tu » et le « Il ». Dans la deuxième conférence, « La posture du lion » voir conf, nous y avons vu les manières que proposent les traditions spirituelles pour l’aborder. Nous avons vu enfin dans «  L’opportunité » voir conf, la grande occasion qu’elle peut représenter pour l’aspirant spirituel en quête d’éveil.

Sans souhaiter que ces conférences soient prémonitoires, il s’avère qu’elles furent synchronisées avec les départs d’êtres proches, ayant pratiqué avec nous, et qui sont partis à des âges parfois bien jeunes. Notre conscience spirituelle les accompagne et nous soutenons leurs proches.

Nous sommes donc bien au cœur de la grande réalité à laquelle nous sommes tous rattachés.

Souvenez-vous, les yogis estiment que c’est dans cet intervalle particulier, lorsque, dans le processus de la mort, la conscience s’efface et se dissocie, comme elle le fait entre le rêve et le sommeil profond, que demeure « le grand secret ».

Nous allons donc essayer de revenir sur la nature du mental qui est censé, entre autres, faire l’expérience de ce grand passage.

Dans le Rāja Yoga राजायोग, les modifications du mental sont quintuples et s’appellent les Vṛtti वृत्ति.

Douloureuses ou non douloureuses, toute dimension de la connaissance, toute forme de pensée, tout champ de perception est l’une des Vṛtti du mental, le rêve étant aussi une condition mentale. De la même manière, le doute, l’illusion, les pensées erronées, représentent autant de Vṛtti.

Ces Vṛtti sont à titre de rappel, Pramāṇa प्रमाण, la connaissance juste, Viparyaya विपर्यय, la connaissance erronée, Vikalpa विकल्प, l’imagination, Nidrā निद्रा, le sommeil et Smṛti स्मृति la mémoire.

Si nous nous arrêtons sur le vritti du Nidrā, il semble que le sommeil se caractérise ici par l’absence de perception consciente. Si nous parvenons, nous dit Svāmī Satyānanda Sarasvatī स्वामी सत्यानन्द सरस्वती, à analyser le contenu du mental dans la condition du sommeil, nous serons à même de comprendre l’état de Samādhi समाधि.

Tout d’abord, le sommeil semble être une condition du mental sans connaissance du monde extérieur. La capacité de perception devient introvertie et le mental reste sans support extérieur. Dans le Samādhi, la notion du « Je » persiste jusqu’à un certain point, alors que dans le sommeil, la perception du « Je » disparaît.
Dans l’état de veille, la perception est exactement celle que nous avons dans le Samādhi mais dans ce dernier, les objets sont absents alors que la perception subsiste.
La conscience subjective s’est détournée des objets du monde.

Dans l’apprentissage méditatif, la connaissance des mécanismes mentaux est une nécessité de premier ordre. Parmi les différentes approches que sont la méditation, l’illumination intérieure, la pratique du détachement, l’observation des Tattva तत्त्व, le contrôle du Prāṇa प्राण, etc. , il y a cette approche qui consiste à maitriser le mental en développant la méthode du rêve conscient ou du sommeil conscient.

De nature, les rêves sont inconscients. Nous en faisons l’expérience, mais il est difficile d’en être témoin. Nous pouvons par contre en avoir la mémoire. Le but du pratiquant va être de développer la capacité à demeurer conscient des états de rêve et de sommeil.
Nous pouvons maitriser les pensées en exerçant un contrôle conscient. Nous pouvons donc reculer les limites et avoir une maitrise des mécanismes de l’inconscient ou du subconscient.
Ces mécanismes seront déjà développés bien sûr par les pratiques régulières de méditation, de concentration, de visualisation, mais pas uniquement.
Il semble donc logique d’induire des techniques d’attention au moment de l’endormissement.

Dans le Raja yoga de Patañjali पतञ्जलि, aucune méthode concrète n’est donnée, et d’ailleurs, le propre des sūtra सूत्र n’est pas de donner la description des techniques. Ce qui rappelle la nécessite d’un guide pour le faire.

Chez les lamas tibétains, dans les pratiques régulières données aux disciples et qui sont bien sûr en accord avec la nature du mental oriental, il est prescrit des processus d’introspection visant à amener le disciple à saisir l’impermanence des éléments pour mieux saisir la notion de vacuité.
Ainsi, au-delà des pratiques méditatives, on invite au coucher du soleil, à observer le va-et-vient du souffle par des Prāṇāyāma प्राणायाम.

Comme nous sommes dans l’approche bouddhiste, à ces prāṇāyāma sont associés des pensées dirigées vers l’opposition apparente du Vide et des phénomènes.

En associant des pensées d’émergence ou de dissolution aux mouvements de l’expir et de l’inspir, on induit le mental à rester conscient dans l’approche du sommeil.
Dans une démarche hindouiste, il se peut que l’attribution du plein et du vide se fassent selon l’ordre inversé de l’inspir et de l’expir.
Peu importe, l’objectif est le même, rester conscient.

Une autre approche est celle où le disciple va s’endormir dans la fameuse "posture du lion" déjà décrite précédemment.
Des techniques de visualisations préalables entre certains phonèmes sacrés, des processus lumineux, des concentrations et visualisations sur les Cakra चक्र, tels celui du cœur, Anāhata cakra अनाहत चक्र, celui du périnée Mūlādhāra मूलाधार et celui du sommet de la tête, Sahasrāra सहस्रार, permettent d’amener le disciple, lorsque l’attention faiblit et que le sommeil l’envahit, à absorber tous les processus de visualisation en un point central, lumineux, résorbé dans un état de vide.

Il perd alors conscience de ce qui l’entoure. Son moi, mais aussi le monde, s’évanouissent complètement. S’il s’éveille durant la nuit, le pratiquant doit avoir la pensée de lumière, la vision de la lumière à l’exclusion de toute autre et sans y mêler aucune idée de forme.
C’est la pratique la plus élevée qui prépare à la compréhension du Vide, voir au bardo de la mort par le bardo du rêve et dont nous avons déjà parlé.

Des résultats plus intermédiaires de ces techniques peuvent offrir aux pratiquants selon leurs niveaux.
 soit la cessation des rêves,
 soit la disparition des rêves désagréables,
 soit la conscience, lorsque le pratiquant rêve, que les évènements qui se déroulent, les actions qu‘il fait se passent en rêve.
Ainsi, si le rêveur est conscient qu’il rêve, il peut se réveiller dès qu’il soupçonne qu’il rêve.
Avec la pratique des méditations introspectives, les pratiquants avancés, par l’obtention d’une tranquillité de l’esprit savent dormir sans rêver.
Lorsqu’ils rêvent, ils sont parfaitement conscients qu’ils sont endormis et contemplent les images du rêve dénuées de réalité.
On dit même qu’ils peuvent se livrer, sans s’éveiller, à des réflexions sur les choses qu’ils rêvent.

Ce qui amènent certains à prendre en considération la nature de leurs actions en rêve. En effet, certains vont jusqu’à refuser à commettre des actions en rêve qu’ils n’auraient pas voulu accomplir éveillés.

Dans la pratique spirituelle, il est important de réfléchir à comment il faut dormir et utiliser le temps du sommeil.

La pratique yogique reste un entrainement psychique et insiste sur l’utilité de conserver le contrôle de soi, même pendant le sommeil.
Les sages disent qu’il est important de ne pas perdre le temps que l’on consacre au sommeil soit en devenant endormi, inerte comme une pierre, soit en laissant sombrer son esprit dans l’incohérence des rêves apparemment absurdes ou néfastes.

Les manifestations désordonnées de l’activité mentale auxquelles on se livre en rêve, entrainent pour le dormeur une dépense d’énergie qui pourrait servir à des buts plus utiles.
Mais plus surprenant encore, les maîtres affirment que les actes que l’on accomplit où les pensées auxquelles on s’arrête pendant les rêves, ont un résultat identique à celui qu’ont les actes et les pensées de l’homme éveillé.

Il convient donc de ne pas fabriquer de négatif en dormant.

C’est une étrange théorie sachant que les rêves sont un exutoire au mental encombré, et ils le seront d’autant plus sans pratique consciente, des pratiques de présence à soi-même, d’introspection au stade de réveil conscient.
Les pratiquants de méditation et de yoga voient souvent au début de la pratique, la nature de leurs rêves changer pour devenir moins chargés, plus légers, moins absurdes.
On parle alors de nettoyage de l’inconscient mais aussi des Saṃskāra संस्कार, des impressions latentes restant à la suite d’une action, des tendances résiduelles subconscientes.

Pour revenir à l’importance des actes faits en rêves, pour les tibétains, l’acte matériel entraîne pour celui qui l’accomplit, des conséquences matérielles visibles plus ou moins agréables ou désagréables.

L’ acte mental qui précède l’acte matériel améliore ou détériore l’auteur de l’acte de façon invisible, créant en lui des affinités ou des tendances occultes qui peuvent lui être profitables ou néfastes et ce changement intime dans le caractère de l’individu peut à son tour, amener des résultats d’ordre matériel.

Les sages orientaux considèrent l’individu à l’état de veille enchâssé dans les entraves de la personnalité sociale, de l’entourage, des références socio-culturelles, des effets de la mémoire, etc.
Le sommeil abolit en quelque sorte cela, et c’est donc un individu libéré de ces entraves qui rêve. Bien que les rêves relèvent de l’imaginaire, ils sont révélateurs de qui agit dans le sommeil et quelle est sa véritable personnalité.

C’est pour cela que les mystiques recommandent l’observation attentive de la conduite que l’on tient en rêve et des sentiments dont on est animé durant ceux-ci, nous dit Alexandra David Neel lorsqu’elle nous parle des maîtres tibétains.

Pour eux, l’intention équivaut à l’action.

Quant aux rêves prémonitoires, les maitres n’encouragent pas forcément cette croyance car les rêves de la grande majorité des hommes naissent du dérèglement de leur imagination pendant le sommeil.

Seuls ceux qui ont développé des facultés psychiques particulières peuvent tenir compte de leurs rêves en termes de prémonitions ou d’informations d’évènements qui ont eu lieu à distance. Mais le plus souvent, ces informations sont plutôt reçues en état de méditation ou de transe où le sujet est loin d’être endormi ou bien, par l’avertissement symbolique des manifestations de l’existence.

Celui donc qui va s’attacher à devenir conscient de ses rêves doit de même devenir conscient de son réveil. Si dans le sommeil, le corps est vaincu, l’esprit doit néanmoins rester lucide et veiller.

Le sommeil doit être aussi léger que celui des bêtes sauvages disent les sages ! Ainsi, vous serez capable de vous réveiller au moment même que vous aurez fixé !
Sauf, si vous vous prenez pour un paresseux !

Hari om tat sat

Bibliographie :
 « Propos sur la Liberté » de Svāmī Satyānanda Sarasvatī aux edts Satyanandashram
 « Initiations lamaïques » d’Alexandra David Neel aux edts Adyar
 Commentaire et adaptation de Jaya Yogācārya